Soirée de questionnement  à l’initiative du  Conseil interreligieux de Grenoble avec une conférence-débat sur les religions et l’espace public en présence de représentants des religions catholique, juive et musulmane, et les maires de deux communes de la métropole, Grenoble et  la Tronche.
Jean-Paul Willaime sociologue des religions au département Sciences religieuses à  l’Ecole pratique des hautes études  rappelle le sang  versé en Europe au nom de Dieu ou de sa négation. Puis l’instauration progressive d’une paix civile et de l’autonomie du politique et du religieux, les  autorités religieuses renonçant au pouvoir politique et inversement.  L’acceptation du pluralisme religieux et convictionnel est un processus historique.
La Laïcité c’est la neutralité, le respect par le pouvoir politique des options religieuses. On parle beaucoup de religions dans une France de moins en moins catholique ou sont désormais majoritaires ceux qui affirment une non appartenance à une religion. L’encadrement institutionnel de la religion et de sa mise en forme culturelle s’affaiblit laissant place à une sorte de « religion vagabonde » et à des « petits entrepreneurs du salut ».
Les religions sont des faits sociaux et culturels importants. Elles sont un « miracle sociologique » quand on voit que les traditions ont traversé les siècles dans des sociétés différentes.
La religion c’est un langage symbolique,  des pratiques rituelles qui disent le sens de la vie, de la mort, du bonheur, du malheur, qui disent les convictions humaines.
On parle souvent de religion quand il y a un problème :   religions meurtrières, questions sociétales (voile, burka, cantine, burkini). La laïcité ne signifie pas privatisation du religieux et on voit d’ailleurs des communautés religieuses s’impliquer dans l’aide sociale, les migrants… Il y a le phénomène de radicalisation avec la question de savoir si on assiste-t-on à un  Islam qui se radicalise ou plutôt à une islamisation de la radicalisation.
La laïcité est un principe de liberté de conscience, de penser, d’avoir une religion ou de ne pas en avoir, de la quitter.  Elle est un principe d’égalité, les personnes ne peuvent pas être discriminées en fonction de leur religion.
Le principe étant celui de manifester sa religion, les limites à ce principe doivent être justifiées et argumentées. La  dissimulation du visage dans l’espace public est interdite non pas au nom de la laïcité mais au nom de la sécurité et du vivre ensemble dans les sociétés démocratiques. La dissimulation du visage est contraire à l’ethos de la démocratie où on débat à visage découvert. La laïcité concerne les services publics avec un devoir de neutralité imposé aux fonctionnaires  et une obligation pour les usagers de se conformer à ce principe.

Parler de religion dans l’espace public c’est d’abord s’entendre sur sa définition. Il y a l’espace administratif, l’espace social et l’espace de la rue.

La laïcité n’est pas l’invisibilité de la religion. Les religions ont vocation à participer au débat public mais en distinguant la loi de la République et les options personnelles. Rien n’interdit à une religion d’être en désaccord avec une loi ou une évolution sociétale. Il faut se garder d’enfermer les individus dans leur religion car on prend le grand risque de communautariser. Les enquêtes effectuées auprès des municipalités montrent des maires qui ont une laïcité d’intelligence et de dialogue.

Quelle approche un maire a-t-il  de la laïcité et de la religion dans l’espace public

La République a été émancipatrice des protestants et des juifs. C’est bien la République qui protège les religions, la République héritière des  lumières,  la République émancipatrice des minorités,  émancipatrice des femmes.
Il y aura toujours des tensions dans la ville avec la sphère religieuse. En ville on passe à la vie communautaire, à la vie de la cité, à la politique et à ses passions où la géopolitique n’est pas absente.
L’apport des religions c’est de rappeler qu’il y a dans la nature humaine les choses de l’esprit. Les religions dans la vie locale sont un marqueur de la santé de la République. Les signes visibles d’appartenance religieuse qui deviennent des sujets de tension  sont des indicateurs de ce que la République va mal. Ce sont aussi des signes de la puissance du fait religieux.
Le fait religieux fait partie de la nature humaine.  La République doit protéger tous les cultes mais aussi protéger ses valeurs républicaines.
Le maire de Grenoble rappelle que le religieux et la place des femmes sont souvent  liés dans l’histoire des religions.  Le fait qu’il n’y ait que des hommes à la tribune de cette conférence pour parler des religions et de leur apport dans l’espace public n’est pas anodin. « C’est la place de la religion dans l’espace public qui fait débat et la place des femmes à travers la religion dans l’espace public »
On ne peut pas  réduire les hommes  à des objets pour consommer, et qui soient suffisamment compétitifs pour s’en sortir dans un monde où  s’expriment principalement la compétition et la domination. Notre défi est plutôt la maîtrise de notre puissance qui est trop forte et s’exprime sans contrôle.  La dimension spirituelle est un ferment qui peut nourrir une transformation sociale. En questionnant le désir de sens on peut requestionner notre mode de vie, nos conditions d’existence collectives et individuelles qui pour l’instant nous envoient dans le mur.  En tant que citoyen politisé nous sommes aujourd’hui  dans une phase avec un mur en face de nous , une nouveauté majeure pour l’humanité parce que pour l’instant nous sommes dans un continuum d’espace-temps  infini  et mais ce rapport à cet  infini de temps  se modifie.  Cela génère une angoisse très forte  qui ne peut être dépassé que par un enjeu fort de spiritualité dans les rapports sociaux. Les résistants sont venus de gens engagés dans des réseaux dont font partie les religions.
Un élu doit protéger la neutralité du service public, protéger les usagers dans l’expression de leur religion et considérer chacun comme étant multi-appartenant, c’est-à-dire ne pas résumer une personne à son appartenance  religieuse. Des communautés religieuses sont également engagées dans la vie publique. Cela signifie se repositionner un peu à distance du dialogue interreligieux.
Aujourd’hui c’est l’Islam qui est source de tension. C’est la radicalité qui a choisi l’Islam et non pas l’Islam qui a choisi la radicalité. Dans notre vision jacobine on parle au chef. Facile pour les catholiques et les juifs. Difficile pour l’Islam et le protestantisme qui sont des religions décentralisées  qui obligent l’élu à être présent auprès de chaque mini-communauté.

Parler de sa religion dans l’espace a souvent été considéré comme une atteinte à la laïcité. Quel peut être l’apport des religions dans la vie locale dans la cohésion sociale ou l’éveil à la solidarité par exemple

La ville c’est l’anonymat contrairement à un village où le rôle de chacun est assigné. La ville c’est une émancipation, des valeurs partagées de solidarité, de connaissances, d’échanges économiques. L’action des religions est un ferment de ces valeurs partagées et qui vient retrouver le projet politique (comment on chérit le bien commun). Si une personne se réduit à la religion il y a mise en danger de la République.

Il y a une règle qui consiste à se débarrasser des oripeaux du paternalisme, des dérives  identitaires, de la manipulation par la culpabilité.  On peut retrouver ainsi la richesse des textes, des pratiques, la complexité du monde. Il peut y avoir collaboration, partage des doutes sur des sujets sur lesquels il n’y a pas ni certitude, ni vérité rationnelle. Un exemple est donné avec la bioéthique. S’il ne s’agit que de respecter le dogme ce n’est pas intéressant.

Le religieux est là pour défendre des finalités et des valeurs. L’Islam bien pratiqué croise les valeurs de la République : liberté, égalité, fraternité. Des associations musulmanes, des mosquées s’impliquent dans la vie des quartiers. L’Islam en France est en pleine évolution. L’Islam s’ouvre et exprime le besoin de partager avec les citoyens. Il s’agit d’un vrai besoin de vivre ensemble.

La laïcité est confrontée à des gens qui contestent la place des religions dans l’espace public
Pour éviter de porter des jugements sur un certain nombre de dérives il est plus simple et politiquement correct de ranger tout ce qui concerne la religion dans un tiroir sans en regarder le contenu. On interdit tout pour ne prendre aucun risque, alors que des croyants veulent être citoyens.
La religion dans l’espace public  soulève des difficultés et les maires le sentent bien.
 Tout ne va pas bien dans le corps social. Il y a un malaise, des tensions qu’il ne faut pas nier. Des pratiques certes minoritaires suscitent des inquiétudes.

Quand on a mis la religion dans le tiroir on ne regarde plus les contenus. Or il est intéressant d’aller regarder les contenus. Il est important que les religions puissent témoigner de leur inscription positive dans la République et les valeurs démocratiques à partir de leurs ressources religieuses.
Les religions sont aussi des ressources de légitimation des libertés fondamentales. On n’est pas habitué à ce schéma-là. Etre démocrate ça s’éduque. On n’est pas spontanément démocrate. Ça demande des formations, des explications. On ne peut pas faire vivre la démocratie par l’abstention.

Comment vit-on la laïcité?

On peut contester la loi mais c’est un droit qu’on peut décider de ne pas s’arroger. Une fois  que la règle collective est élaborée rationnellement, on se refuse au nom d’une territorialité à imposer un dogme ou une posture.

Dans l’Islam la relation est verticale (Dieu et la personne) et horizontale. Les  gens connaissent la limite entre la sphère personnelle et ce qu’il y a à partager avec les autres.
Juridiquement l’Islam a une grande force d’adaptabilité.

Les évènements qui se sont déroulés ces jours-ci à Grenoble amènent bien évidemment une question du public sur les piscines.  La piscine est un lieu profane qui a un règlement intérieur voté par le conseil municipal et qui a été discuté au niveau métropolitain. Ce règlement intérieur impose des règles d’hygiène et de sécurité.
Le maire de Grenoble a choisi de tenir un discours sur le service public valable pour tous et non pas sur une question religieuse.
Sur la tenue vestimentaire dans une piscine il faut s’en tenir à  l’hygiène et la sécurité. Le règlement intérieur a été voté par le conseil municipal mais il faudra à terme  le réinterroger pour l’ensemble des pratiques.  Par exemple dès lors que sont  promus des éléments de santé publique sur la protection du soleil comme des maillots couvrant anti UVA va-t-on s’interroger sur les intentions, accepter le maillot couvrant pour se protéger des UV et refuser le maillot couvrant avec des intentions religieuses. On en vient alors à ne plus regarder ce qui s’impose à tous. Le maire ne peut pas s’interroger sur les intentions. Soit le gouvernement décide qu’il faut avoir un regard sur la laïcité dans les piscines. Les propos de la Secrétaire d’Etat à l’égalité entre les hommes et les femmes ainsi que ceux de la ministre des sports ne sont pas d’une grande aide. Le dialogue interpersonnel prôné par la ministre des sports ne colle pas avec les valeurs de la République et le service public. Il n’y a pas à dialoguer avec les religieux pour savoir quels sont les normes applicables dans les piscines.

Question sur les femmes et les stigmates de la religion

Cette question me taraudait depuis un moment et j’ai eu la chance d’avoir une réponse du Rabbin  à la hauteur de mes attentes.
En effet, les crispations, les tensions dans l’espace public sont très souvent liées à la question des femmes car ce sont elles qui  volontairement ou non portent les stigmates de la religion (voile, burkini…)Or,  un principe de la République est celui de l’égalité entre les hommes et les femmes.

Exemple extraordinaire qui est une illustration majeure de ce que parfois la République et son principe laïc peut bousculer dans le bon sens les religions. Traditionnellement on distingue le temporel du spirituel. Là on peut parler de deux temporalités. La temporalité du politique n’est pas la temporalité du religieux. Mais tout de même dans un contexte d’accélération, et c’est parfois un pur bonheur, le temps  religieux aussi s’accélère. Pour ce qui est du judaïsme organisé en France il est en plein questionnement, prend acte d’un retard honteux considérable sur la place des femmes dans les fonctions laïques mais aussi dans les fonctions religieuses contrairement à ce qui se passe aux Etats-Unis, ou en Israël. La France est très en retard. C’est cette interpellation citoyenne qui nous fait réfléchir aujourd’hui. Comment compenser ce retard, comment penser les textes  parce qu’il y a du lourd, penser ce rapport à l’autre, à l’autre sexe, au corps qui devrait être normé de manière hétéronomique. Ça interroge. Le temps religieux s’accélère le temps politique nous interpelle, nous bouscule et nous invite à distinguer le bon grain de l’ivrai, à distinguer le culturel du permanent et lorsqu’on ouvre les livres c’est vrai on a quelques surprises »